« Même quand je ne peins pas, je peins ». Ces quelques mots exprimés par l’artiste-peintre libanaise Rana Raouda, mettent en exergue la manière dont le regard est un instrument du réel. Le regard de Rana semble quelquefois omniscient, son regard embrasse une réalité physique et intérieure. Des mots, tel un mantra, nécessitant une relecture afin de percevoir avec une certaine acuité comment l’art se fond dans le réel ; le peintre dissout la frontière existante entre la toile et ce qui l’entoure. Qu’il s’agisse d’une toile de 2 mètres ou de 50 centimètres, le papier se mute en un espace infini dans lequel Rana peut librement s’exprimer. L’exposition « Rooting » de Rana Raouda dans la galerie Sheikh Zayed de l’Université libano-américaine (LAU) est une balade ouverte à travers le temps et des espaces. Du 18 au 26 novembre, il est possible de s’immerger des ressentis teintés de l’artiste. « Rooting » fait partie d’un projet d’exposition permanente organisé par Tony Karam, médecin et pianiste.
Retour sur les bancs de l’école pour l’artiste qui fut étudiante en art dans les années 1980 à LAU. Le nom de l’exposition « Rooting » est polysémique et peut être soumis à plusieurs interprétations. Cela peut supposer un « ancrage » aussi bien au Liban qu’en France. Également des « racines » telles qu’un fil d’Ariane, rendant perceptible un chemin progressif depuis sa jeunesse. Durant la guerre civile, elle s’échappait par la peinture : s’attarder sur les couleurs fut un moyen de ne pas sombrer dans le chaos ambiant. L’attention portée à la couleur résiste au temps, celle-ci s’alimentant avec force du vécu de l’artiste, ne pouvant abaisser l’intensité des couleurs qui donne corps aux différentes peintures. Ce mouvement, Rana l’assimile à une verticalité comme cela est mis en exergue dans l’œuvre Ascendance. Le désir d’élévation est constant : s’élever physiquement entraîne une élévation picturale. Voici la naissance d’un chemin, une volonté de tutoyer des sommets qui se solde par un renouvellement éternel de la marche vers celle-ci. Rana Raouda la côtoie de près, avec attention, mais l’infini ne contient pas une destination.
Plusieurs de ses œuvres présentent une dualité. Selon elle, cela n’implique pas une stricte séparation, les contraires agissent dans un grand ensemble et se complètent. Le réel prend le dessus et dépasse un cadre formalisé par l’esprit, sans fioritures. Il est permis de saisir l’essence à travers la simplicité. On peut lire et se plonger dans ses œuvres à la hauteur de notre ouverture sur nous-même et le monde. Les œuvres de l’artiste sont des miroirs, prendre de la hauteur fait partie de l’équation : on lit une peinture, comme l’on se dépeint soi-même.
Le chemin pictural de Rana s’apparente à une procession de foi à travers laquelle subsiste une vérité pérenne et guidant son pinceau. L’élan spontané ne peut se manifester qu’après avoir suffisamment converser avec soi-même, une vérité qui est transmise et se démultiplie dans les yeux et le cœur du public. L’adjectif sacré s’accorde avec brio aux œuvres de Rana Raouda, du latin sacare signifiant « consacré à une divinité ». Consacrer, implique de rendre ses lettres de noblesse au temps, glorifier des espaces matériels et de réflexion. Les œuvres de l’artiste permettent par ce processus de réhabiliter le regard sur les éléments essentiels de la vie.
Elle signifie à un moment que « la vie et la mort ne font qu’un ». Ce qui réside entre les deux, est une chance de pouvoir s’élever et produire le beau. Le beau semble chez Rana Raouda s’inscrire dans la lumière, celle qui éclaire et apaise, rompant avec une conception purement esthétique. Voici la création d’un dialogue entre l’œuvre et son public, brisant la solitude humaine la plus primaire : rencontrer Rana et ses peintures, c’est une seconde rencontre avec soi-même.